Le grand incendie de 1949 dans les Landes de Gascogne : la tradition à l’épreuve du feu
Thomas Martel
Responsable du service conservation
à l'écomusée de Marquèze
Crédits photo : Fonds Emile Vignes et Pierre Toulgouat
Le 19 août 1949, un grand incendie se déclare depuis Saucats dans la partie girondine du massif des Landes de Gascogne et embrase le territoire pendant plus d’une semaine. Son ampleur est telle que Bordeaux est noyée sous un nuage de cendres. Les conséquences sont terribles. Ce ne sont pas moins de 50 000 hectares, dont 25 000 de forêt, qui partent en fumée. Environ 150 scieries, fermes et habitations sont détruites. Le bilan humain est dramatique : 82 morts sont dénombrés, ce qui en fait l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de France.
Au lendemain de la catastrophe, les méthodes traditionnelles de lutte contre le feu sont largement critiquées et jugées responsables du nombre de décès.
Depuis la plantation du massif forestier au XIXème siècle, la gestion des incendies est l’affaire de tous dans les Landes. En cas de départ de feu, la mobilisation est totale, notamment au niveau local, engendrant ainsi un risque accru pour les habitants.
Toutes les ressources humaines sont mises à disposition. Au son du tocsin, les hommes âgés de plus de 16 ans sont réquisitionnés par des listes d’appel publiées par les mairies. Ils sont placés sous le commandement des maires et des DFCI1 locales. En cas d’incendie majeur, tous les hommes valides sont appelés et les communes alentour peuvent aussi se mobiliser. Organisés en grandes lignes face aux feux, ils luttent avec les moyens à leur disposition.
Tout le matériel possible et utilisable est mis à contribution : charrettes ou vélos chargés de barriques et de seaux d’eau, arrosoirs, matériel agricole dont des vermorels2, et des branches de jeunes pins pour étouffer le feu appelées fouails. L’omniprésence du risque incendie sur le territoire a aussi engendré une invention locale, l’estupe huc3. Inventé en 1936 par Jean Bordes, propriétaire forestier, il s’agit une pompe mobile montée sur vélo. En parallèle, la majorité des DFCI possèdent des charrettes hippomobiles de la Grande Guerre et certaines sont dotées d’autochenilles depuis les années 30. En effet, les véhicules motorisés et équipés en conséquence sont encore rares dans la région. À titre d’exemple, la ville de Saucats ne possède en 1949 qu’une autochenille allant à 15 km/h et équipée d’une seule rampe d’arrosage relié à un réservoir de 600L. L’eau est puisée dans les puits ou dans les crastes, les fossés jalonnant la forêt landaise, s’ils ne sont pas à sec.
Des contrefeux sont aussi allumés. Technique ancienne et traditionnelle pour combattre les incendies, elle vise à détruire tout combustible sur une parcelle délimitée et surveillée, afin de circoncire le feu pour qu’il s’auto-consume. Décriée par les pompiers, cette méthode est largement mise à profit par les habitants mais peut aussi se retourner contre eux, contribuant au nombre de victimes.
Le bilan de la catastrophe de 1949 posera ainsi les jalons d’une lutte moderne et professionnelle contre le feu à l’échelle nationale, au détriment des moyens traditionnels. Les pompiers seront désormais les seuls habilités à combattre activement le feu, tandis que les DFCI auront à charge sa prévention, toujours essentielle aujourd’hui. Ces corps seront progressivement équipés de moyens décents et modernes comme des véhicules rapides ou des radios. Les anciens outils de fortune entreront alors dans l’Histoire, témoignant pour toujours du courage de ces habitants des Landes de Gascogne face à la violence du feu.
1 Dispositif de Défense des Forêts Contre les Incendies
2 Pulvérisateur à pompe à bras
3 « éteint-feu » en gascon, elle est visible au musée de l’Estupe Huc à Luxey, visitable sur réservation : 06.70.88.81.24 /
D'anciens outils de lutte contre le feu et d'autres photos du fond Vignes sont à découvrir dans et autour de l'exposition 600° au Pavillon de Marquèze jusqu'au 28 septembre 2025.