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 On sortait des tranchées. Au milieu du massacre, un grand brassage de populations et d’idées avait changé la vision des hommes sur leur condition sociale. Octobre 17 ébranlait tout le monde ouvrier, et au sein de la CGT s’exacerbait l’écart entre les positions d’une confédération modérée et l’intransigeance des fédérations marquées par le courant révolutionnaire naissant.

Carte du réseau ferré des Landes

                                                                        Carte du réseau ferré des Landes

En 1920 plusieurs compagnies ferroviaires desservaient au total 147 communes landaises. La plus importante, la compagnie du Midi employait, plus de 1000 agents.

Les cheminots, mobilisés durant la guerre à leur poste de travail, avaient pu développer des réseaux, des pratiques et des structures syndicales. A la fin de la guerre 85% étaient syndiqués. Ils représentaient plus du tiers des adhérents de la CGT. Leur influence sur le syndicat et leur capacité de mobilisation était donc exceptionnelle. Mais dans les Landes en 1919, seul un syndicat était présent au dépôt de St Paul lès Dax, rejoint en 1920 par les cheminots des centres de Mont de Marsan et de Morcenx.

A l’échelon national ça faisait déjà un moment que la machine était sous pression. De nombreux conflits mettaient aux prises les syndicats et les compagnies au cours desquels la fraction révolutionnaire du syndicat gagnait en puissance et crédibilité auprès des syndiqués.

La première grève nationale dura 3 jours, du samedi 29 février au 2 mars 1920. Dans les Landes elle fut générale sur le réseau de la compagnie du Midi. Cinq revendications étaient mises en avant : le respect des droits syndicaux, une échelle des salaires, l’extension des commissions paritaires aux petites compagnies, l’étude d’un régime des chemins de fer, l’absence de sanctions pour fait de grève.

Le préfet ordonna le retour sur Tarbes et Mont de Marsan des troupes envoyées dans le Bas-Adour pour endiguer les mouvements des métayers, également en lutte depuis 1919. La vente des armes et munitions fut interdite, on recensa la présence d’explosifs dans les différents secteurs du département, tandis qu’on réquisitionnait les moyens de transport pour assurer la distribution de la farine et le service des postes. Dans Le Républicain Landais l’éditorialiste du moment, qui rendait compte des événements, conclut son article sur ces mots : « Le gouvernement tout en respectant la liberté de la grève a montré qu’il ne laisserait pas les agitateurs poursuivre leur œuvre anti-française ».

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                                                         1er mars 1920 le Préfet appelle au maintien de l'ordre Coll AD 40

Une entrevue aussi rapide que discrète entre le syndicat et le ministère des transports arrêta net le conflit dans la nuit du 1er au 2 mars en donnant satisfaction sur tous les points.

Malgré l’accord obtenu la fraction révolutionnaire du syndicat estimant que le rapport de force aurait permis d’aller beaucoup plus loin appela à la grève pour le 1er mai sur le mot d’ordre de « Nationalisation des chemins de fer ».

La préparation des grèves du 1er mai au niveau national et leur élargissement à d’autres corporations, inquiétaient le gouvernement. Le préfet des Landes conseilla à ses subordonnés de recruter et armer de révolvers et de matraques, des volontaires parmi les anciens sous-officiers pour soutenir les forces de l’ordre. Le département fut quadrillé, les gares occupées militairement et les voies protégées par des patrouilles armées. Des barrages routiers, avec pelotons motocyclistes surveillaient la circulation et fouillaient les véhicules.

Les manifestations du 1er mai furent violentes. On compta deux morts à Paris. Clémenceau fit arrêter les responsables de la fédération des cheminots pour atteinte à la sûreté de l’Etat et les compagnies révoquèrent les syndicalistes. Les corporations des Ports et Docks, celle des Marins et des Mineurs, rejoignirent alors le mouvement. Le blocage du pays était proche.

Dans les Landes on comptabilisa, dès le 1er mai, 336 grévistes sur 1008 employés de la compagnie du Midi. Dans les Landes toujours, 1930 ouvriers des Forges de l’Adour, 200 dockers et 55 cimentiers travaillant pour les Forges, se joignirent par solidarité à la grève. Les cheminots de la ligne Luxey-Mont de Marsan firent de même pendant une semaine pour soutenir leurs camarades du Midi. Au Boucau au passage des trains conduits par des non-grévistes des pierres étaient jetées depuis les maison qui bordaient la voie.

Dès le début du mouvement la compagnie du Midi frappa très fort et les responsables syndicaux des cheminots, dénoncés par les sous-préfets comme activistes, furent arrêtés. Au-delà des cheminots, la répression visa tout le mouvement social qui s’organisait et se mobilisait depuis plusieurs mois, dans les Landes.

Carte de cheminot gréviste dépôt de Mont de Marsan Coll Mimot

                                                           Carte de cheminot gréviste du dépôt de Mont de Marsan Coll Mimot

Malgré un nombre constant de grévistes (1/3 des effectifs de la compagnie du Midi), les trains fonctionnaient à 70 % ou 80 %, et on sentait, à la fin mai, venir la fin du mouvement. Il s’acheva le 1er juin. Les cheminots, dans l’immédiat, n’obtinrent satisfaction sur aucune de leurs revendications. Les cheminots des autres compagnies qui ne s’étaient pas joints à la grève ne furent pas sanctionnés. Ceux de la Société des Voies Ferrées des Landes obtinrent après deux jours de grève des augmentations substantielles de salaire.

Mais peu après, dans la même année, le premier statut des cheminots était adopté et les grèves de 1920 s’inscrivirent progressivement comme une page glorieuse dans la mémoire sociale des cheminots.

La répression avait été sévère. 400 militants arrêtés et 20 000 grévistes licenciés. Dans les Landes la compagnie du Midi révoqua 47 grévistes. Partout le mouvement syndical connut une grave crise, et la tendance révolutionnaire perdit provisoirement en influence au profit de l’ancienne direction.

Photo de cheminots grévistes Coll LHumanité

                                          Photo de cheminots grévistes Coll L'Humanité

De leur côté les 1900 ouvriers des Forges de l’Adour reprirent le travail le 3 juin, soit deux jours après les cheminots de la compagnie du Midi qu’ils avaient accompagnés pendant plus d’un mois. Sans rien revendiquer pour eux-mêmes, ils sacrifièrent ainsi, uniquement par solidarité, un mois de salaire.

Pourtant, durant l’année 1920, dans ce département paysan, ce fut surtout la lutte des métayers qui frappa les esprits. Mais ceci est une autre histoire.

 

Marc Casteignau

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