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Moins prosaïquement, l’activité des bergers s’inscrit dans le temps cyclique des saisons qui commande la répétition des tâches et des parcours, jusqu’à marquer, longtemps après leur dernier passage, les chemins de leur empreinte. Leur départ annonce le réveil du printemps, et l’hiver au retour s’attache à leurs basques.

Printemps, été, automne, hiver, le temps qui passe dans ces sociétés rurales est souvent fonction du temps qu’il fait, célébré par l’éternel retour des travaux et des fêtes rituelles. Leur caractère religieux n’était le plus souvent que fortuit, mais la superposition d’un calendrier cyclique des travaux (départ des troupeaux, agnelage…) et d’une scansion liturgique de l’année (Noël, Pâques…) fournissait des repères communs, partagés par toute la société, et sacralisait la fête.

Les landais de la lande pourtant n’étaient pas si religieux qu’il leur fallût à toute force se placer sous la protection d’un saint, ou, en l’occurrence, du Christ Lui-même, pour sanctifier leur travail. Parlant de la qualité de leur foi, l’abbé Dumartin, curé de Commensacq ne manqua pas d’ailleurs, dans la monographie paroissiale qu’il transmit à son évêque en 1850, d’habiller ses ouailles pour l’hiver !

Les fêtes de bergers n’ont donc rien de spécifiquement landais. Et encore, pour les réinscrire dans la mémoire collective, faut-il ici des rendez-vous festifs comme celui de Pâques à Marquèze, pour « rapprendre » le lien entre le sommet de l’année liturgique et ces anciens rendez-vous pastoraux et masculins, où l’on se pressait au fin fond de la lande, les sabots dans la bruyère humide, autour d’une omelette d’œufs de courlis, une boha sous le bras et un cujon bien rempli en bandoulière.

BernèdeOmeletteBergersLandais copy

                                                          F.Bernède, Fête des Bergers dans la Lande.

En réalité il n’y eut, à proprement parler, jamais de « Fêtes des bergers » nulle part dans la lande. Nulle en tout cas qui rassembla la population d’un quartier ou d’un village, comme elle le fait aujourd’hui des visiteurs de l’Ecomusée. Nulle qui aurait marqué symboliquement l’attachement collectif d’une société à cet événement. Dans les années 1910-1920 les cartes postales du folklore landais de Ferdinand Bernède, témoignent tout au plus d’une sorte de pique-nique pastoral. Autour d’une poêle à longue queue où cuisait l’omelette, se rassemblaient au mieux une dizaine de bergers, qui, après le repas, manifestaient leur joie en dansant sous l’objectif du photographe, le rondeau dans la bruyère. C’est aussi dans ces clichés et dans la fuite du temps que se construit la tradition.

En fait de fête, il s’agissait plutôt d’une tournée d’inspection des nombreux parcs disséminés dans la lande avant le retour des troupeaux qui suivraient dans quelques semaines. Une indispensable opération de maintenance du bâti en quelque sorte. Lorsque les troupeaux auraient quitté les quartiers après la tonte, il serait trop tard pour s’inquiéter de l’état des bergeries. La conduite quotidienne en parcours pendant de longues heures ne laisserait plus de temps au bricolage.

Si la pureté de leur foi était questionnée par le clergé local, ils n’en tenaient pas moins pourtant à cette date, et au rite protecteur des rameaux bénis que les familles apportaient par brassées à la messe des Rameaux. Quelques brins bénis de laurier ou de buis prévenaient d’un malheur les bâtiments, les hommes et les bêtes qu’ils abritaient. Plantés aux quatre coins du champ ils garantissaient les futures récoltes.

Dans la lande, le laurier-sauce s’était imposé sur le buis, car, accroché dans la cuisine au coin de la cheminée, il avait contrairement à celui-ci, tout en protégeant la maison, l’avantage de pouvoir aussi parfumer les sauces…

Plus qu’au dimanche de Pâques, le passage de cette commission de sécurité pastorale était donc surtout lié, dans la Semaine Sainte, à la fête des Rameaux qui le précède. C’était aussi l’opportunité de croiser les autres bergers venus des quartiers voisins ou des villages alentour pour les mêmes raisons. Les occasions étaient si rares de se retrouver qu’on ne les laissait pas passer quand elles se présentaient. Les retrouvailles se fêtaient, comme il se doit entre collègues. Dans cette société morcelée ces rencontres donnaient au monde sa continuité.

En dehors du pain, inutile de se charger. Pour l’ordinaire, chemin faisant, munis de leurs rameaux bénis qu’ils accrocheraient à l’entrée des parcs, les bergers ramassaient au passage les œufs de courlis, oiseaux du littoral atlantique qui migraient au printemps pour venir nicher sur le sol de la lande.

MarquezeOmelettePâques

                                                          Partage de l'omelette Pascale à l'écomusée

Avant de revenir au quartier rapporter les nouvelles d’un monde plus lointain c’était le moment de remplir la boha (1) et de vider les cujons (2), même si on risquait de se croiser un peu les échasses au retour. Les œufs de courlis, d’un brun verdâtre, finissaient tous en omelette. C’était la contribution de l’espèce. Entre migrateurs il fallait bien se soutenir. La fête des bergers pouvait alors commencer.

 

Marc Casteignau

 

(1) Cornemuse landaise.

(2) Gourde formée par une coloquinte séchée et vidée.

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